Quatre ans déjà que l'Europe était à feu et à sang. La guerre, insatiable ogresse, avait dévoré des millions de combattants. Les femmes, les mères, les sœurs avaient attendu pendant de longs mois les lettres de leurs soldats. Nombre d'entre elles avaient déjà pleuré après la visite des gendarmes ou des maires venus annoncer la catastrophe redoutée. Le conflit s'enlisait. Il était depuis longtemps jugé absurde par beaucoup. Lors de la bataille de Verdun, l'année précédente, les soldats des deux camps avaient vécu, ou plutôt survécu, pendant onze mois, concentrés sur quelques kilomètres carrés seulement, dans les conditions apocalyptiques des tranchées, sous la pluie perpétuelle des obus, pour gagner quelques mètres de terrain sur l'ennemi, aussitôt repris. Cela en valait-il la peine ? « Pas d'oubli, pas d'indulgence transfiguratrice pour l'enfer de Verdun ! » écrira Georges Duhamel, chirurgien militaire sur le théâtre des opérations. Lucien Legrange était de ces sceptiques. Il aimait la France, mais haïssait la guerre. Viscéralement. Il n'avait jamais compris qu'on l'envoie tuer des gens qui ne lui avaient rien fait. Mobilisé aux premières heures, il n'avait jamais cherché à prendre du galon et finirait la guerre simple soldat. Ce jeune homme de vingt-cinq ans à la mâchoire carrée, aux gestes brefs, était un taiseux. Il obéissait aux ordres, mais n'en pensait pas moins, et avait à bas bruit applaudi les mutineries de 1917. Cependant, il ne manquait pas de courage. Quand les chefs, après des directives reçues de l'état-major, hurlaient de sortir de la tranchée et les envoyaient, lui et ses camarades, baïonnette au fusil, combattre encore et encore l'ennemi, il surgissait sur le champ de bataille. On le voyait porter secours, même si cela le mettait en danger, à ceux qui tombaient dans ces étendues dévastées, lunaires, où la végétation n'avait pas survécu, où des restes d'arbres calcinés se dressaient, hérissés, sur le plat horizon couleur de cendre. À la fin de chaque journée, il ne se demandait pas vraiment si l'armée française, sur tel ou tel front, avait progressé. Il se réjouissait simplement
Le contenu complet de cet article est réservé aux abonnés. Vous pouvez également acheter Les Veillées des Chaumières n°3661 au format digital. Vous le retrouverez immédiatement dans votre bibliothèque numérique KiosqueMag.
Voir plus