Jeanne vouait un culte au commissaire Maigret. Elle rêvait d'employer un jour ses propres talents d'enquêtrice. L'occasion allait lui en être tristement donnée. Mademoiselle Jeanne Hauteclaire lisait Simenon et raffolait des bonbons à la violette. Depuis toujours, et plus exactement soixante-six ans, elle habitait cette bourgade en bordure de Loire. Jamais elle n'avait franchi les limites de son département. Employée de mairie à la retraite, elle cultivait avec bonheur l'art de ne rien faire et comblait le vide de son existence en dévorant des romans policiers. Assise près de la fenêtre donnant sur la rue piétonne, elle usait les heures en tournant les pages, plongeant sa main, à intervalles réguliers, dans le sachet de bonbons à la violette. Le buraliste, son voisin, n'en commandait que pour elle. Ce fut d'ailleurs dans sa boutique qu'un matin de printemps, elle apprit que la fille du charcutier avait disparu. - Depuis deux jours. Les gendarmes sont passés chez eux tout à l'heure. Ils songent à une fugue, seulement, Sylvie est partie sans bagage, selon sa mère. Volatilisée en rentrant du lycée. Si d'ordinaire Jeanne ne s'attardait pas à écouter les commérages, cette fois elle prit le temps d'écouter l'avis de chacun. Elle connaissait Sylvie de vue et n'appréciait pas beaucoup son allure délurée et sa manie d'écraser ses mégots juste devant sa porte. Une fois, elle le lui avait fait remarquer, mais la jeune fille hautaine avait rétorqué : - Le trottoir est à tout le monde ! D'un coup de talon rageur, elle avait broyé la cigarette qui fumait encore. Plutôt mignonne, sans être réellement belle, elle portait des jupes trop courtes, même en hiver, et des décolletés qui ne laissaient rien ignorer de son anatomie. “À jouer avec le feu, on finit toujours par se brûler” , pensa Jeanne
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