Guerres & Histoire : À la mi-février 1943, après six jours de traversée d'un passage ponctué de grenadages anti-sous-marins, vous arrivez enfin en Angleterre. Achille Muller : Je descends du bateau et un sergent m'aborde et me demande, en anglais : « Vous êtes Achille Muller ? - Y es ! - Je vous emmène à la Patriotic School. » Il s'agit en réalité d'un centre de filtrage pour éliminer les espions. Il est installé dans un ancien collège entouré de barbelés et de miradors. J'y trouve un bon lit, des baignoires, de bons repas. Deux capitaines m'interrogent en allemand et en français. Je raconte tout de A à Z : famille, enfance, pourquoi je suis parti, mon parcours… Ils ont tout vérifié auprès de mon oncle, il me l'a raconté après la guerre ! Un jour, deux hommes parlant couramment l'allemand viennent manger chez lui, puis s'en vont pendant qu'il est à la cuisine. Il se dit qu'on lui a tout juste volé deux repas quand il découvre des livres sterling sous les assiettes ! « Ça, c'est Achille », se dit-il. Et il peut donc prévenir mon père que je suis arrivé en Angleterre. Combien de temps dure ce séjour ? Après 72 jours (un record), ils me disent que je vais pouvoir sortir. Ils me proposent de travailler pour eux, les services secrets britanniques, mais je refuse en expliquant que je veux rejoindre les troupes du général de Gaulle [son livret militaire porte un engagement à la date du 24 avril 1943, ndlr]. Chez les Français, on m'offre un poste similaire, que je repousse là encore : je veux me battre, pas faire l'espion ! Je postule pour être pilote de chasse, mais il faut passer deux ans de formation aux États-Unis, ce qui est hors de question. Je ne veux pas non plus être mitrailleur sur bombardier. Le recruteur me dit : « On a encore une bande de voyous, ça s'appelle les parachutistes. » Je me souviens alors qu'au cinéma de Forbach, j'ai vu aux actualités des Allemands sauter d'un Junkers sur la Crète. Va pour les voyous ! Où se trouve le centre de formation ? À l'époque, il est à Camberley [à 30 kilomètres au sud-ouest de Londres, ndlr]. Juste de l'autre côté de la route, il y a une école pour les officiers britanniques [l'Académie royale militaire de Sandhurst, ndlr]. On est début mai 1943. Les paras français ne sont pas nombreux et je comprends pourquoi on les traite de voyous : le premier qui les regarde de travers se prend un poing sur le pif. Comme je suis le dernier arrivé, ils veulent d'abord me passer la b… au cirage. Heureusement, un sergent arrive dans la chambrée et explique qu'il manque un homme pour un défilé à Londres, le lendemain. Comme je sais marcher au pas vu que j'ai été scout, un caporal m'apprend ce qu'il faut du maniement d'armes. Le lendemain, je suis au dernier rang vu ma petite taille, surveillé par deux anciens. Item sans titre Dans la foulée vous rencontrez votre idole, le général de Gaulle. Je suis choisi pour lui être présenté, avec une dizaine d'autres arrivants. À Grosvenor House, le mardi 4 mai 1943, à 17 h 30. J'ai toujours le carton d'invitation. Il demande à chacun ses origines, mais je ne sais pas s'il écoute les réponses. Visage impassible, regard sans chaleur, comme sur les photos. Le voilà devant moi, l'homme qui doit sauver l'honneur de la France. Aucun doute, il a la tête de l'emploi. Vous semblez déçu. Pas du tout, au contraire ! C'est une personnalité étonnante, qui commande toute la France libre. Il
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