Noémie avait appris à Léopold à signer ses œuvres, au grand dam de sa tante qui trouvait que Mademoiselle Ragon brûlait les étapes en matière d'éducation. - Mais je m'appelle Léopold de Bussières, fit un jour remarquer le petit. Pourquoi je n'écris que « Léopold » ? Noémie tiqua : oui, il s'appelait ainsi, mais il portait à l'origine son nom, à elle, qu'elle avait abandonné à la famille Bussières en même temps que son enfant. - Parce que… c'est trop long. Nous verrons plus tard. Toute la famille constatait avec plaisir que Léopold n'était plus aussi coléreux qu'auparavant. Habitué à obéir à sa gouvernante, il s'opposait moins à présent aux rares injonctions des Bussières. - Je vous l'avais dit, que cette jeune femme était une perle ! triompha Jacques quand il revint au château un mois plus tard. Elle a remis sur les rails notre petit Léopold, car il faut bien avouer que mon oncle et ma tante lui avaient donné de bien mauvaises habitudes. Ils ne pouvaient penser que peut-être la docilité native de sa mère était, elle aussi, ressortie, sa facilité à se plier, avant que le destin ne la pousse à prendre des décisions radicales. - C'est une fille curieuse, poursuivit Jacques, l'air rêveur, son extérieur est on ne peut plus lisse, et pourtant on la dirait animée d'une riche vie intérieure. Ce feu dans ses yeux, et ce talent pour la peinture… Jeanne le regarda d'un air incrédule. Où allait-il chercher tout ça ? Quant à elle, elle trouvait la gouvernante d'une totale insignifiance, ce qui lui convenait fort bien. Elle se souvenait des anciennes gouvernantes de Léopold, aperçues chez son beau-frère, qui prenaient parfois de grands airs fort déplaisants. - En tout cas, elle est très polie avec nous et n'a jamais un mot plus haut que l'autre, ni ne manifeste le moindre signe d'impatience à nos demandes. Elle est, comme qui dirait, transparente et ce n'est pas sa mise austère qui la ferait remarquer ! - Pourtant, elle a su prendre de judicieuses initiatives concernant Léopold. Jeanne de Bussières en convint. - Elle doit cacher une grande sensibilité, comme l'attestent ses aquarelles, poursuivit Jacques. Vous devriez monter les voir, cela vaut le coup d'œil, je vous assure. Sa mère haussa les épaules, elle avait autre chose à faire. Tant que cela amusait son petit-neveu, c'était l'essentiel. Mais si elle s'était rendue à la salle d'études, elle aurait pu constater que la gouvernante contrevenait à ses ordres et avait entrepris d'apprendre à lire et écrire à Léopold. Elle n'avait aucune connaissance en la matière, mais cela ne devait pas être bien compliqué : il suffisait sans doute que l'enfant y prenne du plaisir. De plus, n'était-ce pas lui qui en avait manifesté la vive volonté ? On partirait pour l'apprentissage des lettres de l'alphabet des noms des fleurs que Léopold avait peintes, tiens. L'agapanthe illustrerait la lettre A, le bleuet illustrerait la lettre B, le colchique le C, et ainsi de suite. L'enfant se vanterait sûrement de sa science auprès de sa famille, mais qu'importe. Car elle avait pressenti un allié dans la personne de Monsieur Jacques qui prendrait sûrement sa défense. Et qui sait, si les Bussières se rendaient compte qu'elle pouvait aussi
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