La comtesse Anne-Lise de Ribeauville agita à nouveau nerveusement la petite sonnette d'argent. Le majordome accourut, à petits pas obséquieux, avec le grand plateau du petit déjeuner. - Enfin ! maugréa la vieille dame. Seriez-vous devenu sourd, Mathurin ? - C'est que, Madame la Comtesse, je guettais le retour de Monsieur le Comte. Il fait sa promenade matinale. Je sais que vous aimez partager vos repas avec votre fils. Il entrait justement, le comte Aimé de Ribeauville, flanqué d'Horus, le seul de la meute de chiens de chasse du domaine à être admis à l'intérieur du château. - Bonjour Maman ! Vous êtes radieuse ce matin ! Il ne manquait jamais de flatter sa mère, la sachant toujours, à soixante-dix ans, sensible aux compliments. - Bah… dit la vieille dame en souriant, je suis une ruine acceptable, dirons-nous. Elle avait en effet été fort belle, mais ses cheveux jadis d'un blond rayonnants étaient à présent tout blancs. Toutefois, dans son visage strié de fines rides, ses magnifiques yeux bleus n'avaient pas changé et gardaient leur éclat tantôt moqueur, tantôt d'une redoutable sévérité. Elle avait de plus conservé ce port légèrement hautain hérité de sa famille aristocratique - une des plus anciennes de France, ce qui lui avait valu autrefois d'être reçue, en compagnie de feu le comte son époux, dans toutes les Cours d'Europe. À présent, c'était ce glorieux passé qu'elle ressassait sans cesse. Elle aurait aimé que le temps se soit arrêté au début du vingtième siècle. Mais la Première Guerre mondiale était passée par là et avait bouleversé ses repères. Hostile à tout progrès, elle ne cessait de rappeler le bon vieux temps et ses agréables frivolités alors que tout semblait difficile désormais. Quand ses jambes fatiguées le lui permettaient, elle montait dans un des greniers du château où, dans d'immenses malles qu'elle ouvrait avec émotion, s'entassaient les reliques de sa vie passée. Elle s'habillait d'ailleurs toujours à l'ancienne mode, portait des robes à traîne souvent bleues ou lavande, car elle jugeait que cela rehaussait ses yeux, des chemisiers à jabot
Le contenu complet de cet article est réservé aux abonnés. Vous pouvez également acheter Les Veillées des Chaumières n°3653 au format digital. Vous le retrouverez immédiatement dans votre bibliothèque numérique KiosqueMag.
Voir plus