Depuis toujours, Denis pensait qu'il était marqué du sceau de l'infamie. Autour de lui, on trouvait l'expression un peu exagérée, et pourtant… Il appartenait à une famille qu'on pouvait qualifier de « bancale ». À dire vrai, pouvait-on parler d'une famille ? Dans le minuscule hameau de La Fosse, perdu au fond des bois, où il avait passé les premières années de sa vie avec ses frères et sœurs, toujours sales, souvent affamés et perpétuellement couverts de guenilles, ils étaient livrés à eux-mêmes. Ils ne fréquentaient qu'épisodiquement l'école, et les gens du voisinage les montraient du doigt. On les appelait les gitans, alors qu'ils n'avaient aucun lien avec cette communauté. Ils habitaient une masure délabrée dont le toit fuyait. Quand on rapportait de la forêt toute proche quelques fagots pour faire du feu, la cheminée fendue laissait échapper une âcre fumée qui empestait les alentours. On n'avait jamais vu le père travailler. Il jetait parfois quelques sous sur la table, venus on ne savait d'où. Il passait son temps à se saouler de mauvais vin, à malmener ses enfants, à maugréer contre l'administration qui refusait de lui accorder une pension à la suite d'une soi-disant blessure dont il aurait été victime pendant la Première Guerre -et dont personne ne sut jamais en quoi elle consistait vraiment. Il s'en prenait aussi évidemment à sa pauvre femme, malade, à qui il avait fait huit enfants en… dix ans. Elle en mourut d'ailleurs, d'épuisement. Épouvanté devant les charges qui allaient désormais lui incomber, le père avait vite déclaré forfait et, un beau matin, il avait disparu, laissant les enfants à eux-mêmes. Une villageoise, au cœur un peu moins sec que les autres, s'en occupa un temps tant bien que mal, puis finit par signaler la situation à l'Assistance publique qui fit de toute la fratrie ce qu'on appelait à l'époque des « pupilles de la nation ». Denis et ses frères et sœurs furent alors séparés et disséminés dans des familles de la région qui, moyennant finance, acceptaient d'accueillir ces pauvres
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