Chapitre 10 Avait-elle eu raison de refuser ? Elle en était désor m ais convaincue malgré les injonctions répétées de Nonna, malgré les paroles rassurantes de son frère : « Je suis grand, Esther, tu peux me faire confiance : si tu retournes en France, je veillerai sur Madeleine et sur Nonna. Au moindre ennui, je te téléphonerai ». Ils avaient mis l'un et l'autre tant de fougue à lui faire entrevoir cette chance qui lui souriait, non seulement parce que, devenir femme de chambre sans aucune formation témoignait de l'intérêt que lui portait Igina, mais aussi, parce qu'Esther allait entrer dans une illustre maison. À Nice, les Abernatis jouissaient d'un réel prestige. Les relations qu'ils entretenaient avec le monde artistique en tant que collectionneurs les avaient propulsés sur le devant de la scène internationale bien avant la guerre : Paris, Moscou, Londres, Berlin, New York… Leur nom était cité dans les journaux du monde entier. Cela, Esther le savait. Elle savait aussi que les futurs beaux-parents d'Igina ne faisaient guère cas de cette notoriété. Seul, leur amour de l'art transparaissait dans leurs propos. Pour le reste, ils laissaient la presse fantasmer à leur sujet. La passion que nourrissait Édouard, le frère de Clément, pour les automobiles de luxe avait toutefois été décriée. Mais il fallait bien que les journalistes trouvent matière à cancaner. En dehors de cela, ils en étaient pour leurs frais : la galerie Abernatis, située depuis presque cinquante ans dans une petite rue menant à la place Masséna, n'avait guère changé depuis sa création. Quant à leur villa, la Villa Ariane, perchée sur la colline de Cimiez, elle ne présentait aucune des caractéristiques que l'on attribuait en général aux demeures des gens fortunés : basse, crépie de blanc et coiffée de tuiles romaines, elle n'offrait d'intérêt aux curieux qu'en raison de son foisonnant jardin en terrasses planté d'orangers, de citronniers, d'amandiers, de buissons touffus de bougainvillées et de mimosas ainsi que d'un majestueux magnolia que l'on disait centenaire. Esther avait vu des photographies de ce lieu enchanteur. Igina les lui avait montrées, lui expliquant au passage que Clément et elle logeraient dans l'un des deux pavillons cubistes qui avaient été construits un peu à l'écart de la villa. Édouard et sa famille en occupaient déjà un. Armand Abernatis en avait dessiné les plans puis les avait fait édifier lorsque ses fils étaient encore enfants, formant le vœu qu'un jour viendrait où il leur en ferait cadeau. Des haies de lauriers roses préservaient l'intimité de chacun. Au bout de la propriété, des pins parasols montaient la garde, au travers desquels, on apercevait le bleu de la mer… Esther avait été bien près de succomber à la tentation, non à cause de l'attrait de cet éden, mais parce que sa petite voix intérieure lui soufflait que son destin passerait bientôt par Nice… Elle avait cependant fini par refouler ce mystérieux présage et, un soir après son service, elle était allée trouver Igina afin de décliner sa proposition. - Tu vas le regretter, lui avait dit Nonna, quelques jours plus tard. Pour elle aussi, c'était une déception. Marco, lui, n'avait
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