Tout le beau monde parisien se pressait au premier bal de la saison, en cette année 1810. Outre leur fonction de distraction, ces élégantes réunions avaient un but bien précis : la chasse aux maris et aux épouses. On repérait vite les candidates. Elles étaient jeunes, parfois à peine dix-sept ans, portaient des robes claires, plus sages que celles des femmes mariées, des bijoux plus sobres, des coiffures moins extravagantes. Mais, comme leurs aînées, elles étaient gantées jusqu'au-dessus du coude et munies d'un éventail, rare moyen d'expression accordé aux femmes en société. Elles en avaient appris les codes muets. Fermé, il signifiait le refus ou l'indifférence, ouvert, l'intérêt ou la disponibilité, agité, l'énervement. On se jaugeait de loin, on échangeait à voix basse des informations. Untel était duc, ou baron. Unetelle avait une dot confortable ou dérisoire. Car le marché était clair : les filles acquéraient un titre, les garçons renflouaient une fortune parfois défaillante. Alors, sous l'œil aiguisé des mères dont le mariage des filles était l'occupation acharnée, le tourment principal jusqu'à ce que celles-ci dénichent enfin l'oiseau rare, les demoiselles acceptaient ou refusaient les invitations à danser. Certaines avaient déjà dès le début de la soirée leur carnet de bal attaché à leur poignet, bien rempli. Pour d'autres, il restait désespérément vide. C'était souvent le cas de Caroline de Monthieux, qui, à l'âge vénérable de vingt ans, n'avait pas encore été demandée en mariage. En cause peut-être, sa petite taille, son physique replet, ses épaules trop grasses. C'était peine perdue pour elle que de se serrer jusqu'à étouffer dans un corset. Ses magnifiques yeux bleus, ses traits fins, son abondante chevelure rousse, son teint transparent et son magnifique sourire ne parvenaient pas à faire la différence. De plus, elle était timide, ne savait pas décocher aux jeunes hommes de coups d'œil hardis qui en disaient long. D'ailleurs, sa mère, veuve d'un vicomte, l'emmenait rarement aux bals, sachant son cas désespéré. - Bah ! elle sera mon bâton de vieillesse, soupirait-elle. La vicomtesse misait davantage sur ses deux aînées, Prudence et
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