J'e m'appelle Louise Maréchal, je suis ridée comme une vieille pomme oubliée dans une coupe à fruits. À 95 ans, mes cheveux blancs sont attachés en chignon sur ma nuque et mes yeux d'un bleu délavé ne voient plus très clair. Trop de lumière les fait pleurer. À cet âge, il y en a qui ne peuvent plus marcher, ne voient plus le soleil et d'autres qui sont déjà dans la tombe. Moi, je suis entre les deux, mais plus près de la tombe que du berceau de bois fabriqué par mon père. Je suis née frappée d'une malédiction, celle de mon sexe. Naître fille dans les années 1920 ne laissait pas beaucoup de choix et je l'ai très vite compris. Pourtant, j'ai été heureuse. Vous aimeriez que je vous raconte ? Je me souviens de tout, vous savez. Ma mémoire est intacte, même si pour certains épisodes de ma vie, je préférerais l'avoir perdue. Je peux dire une chose : j'ai été toutes les filles et toutes les femmes, tour à tour. J'ai été multiple, arborant autant de visages qu'en ont l'amour, le deuil, l'espoir et le désespoir. J'ai vécu plusieurs vies et aucune n'a été facile. Mais il y avait l'amour et toutes ses écritures. J'ai tellement aimé, si vous saviez, à commencer par mes parents, mon petit frère Léon et Juliette, ma petite sœur. Dieu, comme je les ai aimés ! Leurs doux visages sont gravés dans mon cœur, je les vois me sourire lorsque je ferme les yeux et je peux entendre leurs rires clairs, leurs voix. J'ai été sœur et mère pour eux, amie, consolatrice, institutrice, infirmière et que sais-je encore. J'ai porté tellement d'uniformes différents. Le soir, quand je m'étends dans mon lit, Léon est le premier à m'y rejoindre. C'est une petite fripouille. Il est tout blond et bouclé, avec une adorable bouche en cœur et de toutes mignonnes quenottes blanches. Il veut toujours que je lui raconte une histoire, il sait bien que j'en connais beaucoup. Ensuite, Juliette bondit sur le lit et ils se chamaillent un peu en me bousculant. Juliette est brune et ses yeux sont noirs. Ils sont si différents et si semblables pourtant. Léon a tout pris de ma mère, et Juliette de mon père. Je rajeunis
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