De l'Antiquité au XXe siècle, les opérations en mer et à terre n'ont cessé de se transformer de façon prodigieuse : un gouffre technologique presque insondable sépare la trière grecque du cuirassé Dreadnought. À terre, la différence est tout aussi spectaculaire, entre les guerriers de l'Iliade, où tout se règle à l'arme blanche, corps contre corps, et le régiment d'infanterie modèle 1918, hérissé de fusils et d'armes automatiques, supporté par une artillerie surpuissante et les premiers chars d'assaut. Et pourtant, les moyens de passer de l'eau à la terre n'ont pas changé d'un iota pendant les trois millénaires qui séparent l'arrivée des Achéens devant Troie du débarquement de l'Anzac à Gallipoli en 1915, dans le même détroit des Dardanelles : pour aborder, il faut ramer. Au moins, les compagnons d'Achille et les fantassins australiens n'ont pas eu à se battre pour ouvrir une tête de pont. Ceux qui, entre ces deux épisodes célèbres, étaient attendus par les défenseurs ont eu bien moins de chance : quelle que soit l'époque, donner l'assaut à un rivage défendu a toujours été considéré comme une opération périlleuse, voire, à l'âge de la mitraille, suicidaire - le fiasco du débarquement anglais à Camaret, en 1694, en est un excellent exemple (cf. « G&H » nº 84). Certes, les chaloupes de Gallipoli sont remorquées en partie par des péniches à vapeur, ce qui économise un peu d'huile de coude. Mais les soldats surchargés n'en doivent pas moins sauter de leur embarcation, patauger dans l'eau puis parcourir, au mieux, une centaine de mètres de terrain plat et dégagé avant d'espérer gagner un couvert. Atteindre la terre en vie n'est pas tout. Il faut s'y maintenir puis attaquer, ce qui nécessite des vivres, des munitions, des armes lourdes… Le tout sans saturer les plages, où le matériel entassé est une cible de choix pour l'artillerie. Au casse-tête tactique s'ajoute donc un défi logistique. Ce qui explique pourquoi les stratèges ont toujours cherché si possible à s'emparer de ports comme têtes de pont, l'acharnement anglais à conserver Calais en étant un bon exemple. Les Marines résolvent l'équation Cela peut paraître surprenant, mais aucun Léonard, Vauban ou Nelson - à qui son débarquement à Tenerife, en 1797, a coûté (littéralement) un bras - n'est jamais parvenu à résoudre l'équation millénaire des assauts amphibies, sans doute parce que les marins estimaient que l'affaire était du ressort des terriens, et vice versa. C'est logiquement des créatures hybrides - à savoir des Marines - qui se repenchent dans l'entre-deux-guerres sur l'épineux problème. En cas de conflit avec le Japon, leur mission première serait de conquérir les atolls du Pacifique contrôlés par la Marine impériale pour rétablir la liaison avec la quasi-colonie américaine des Philippines. Bien que dépourvues de port, ces îles peuvent être transformées en forteresses dont l'assaut serait terriblement coûteux, et à des milliers de kilomètres des grandes bases logistiques. En se fondant en partie sur les travaux précurseurs d'Earl Hancock Ellis, le Corps se dote le 5 août 1938 d'un « manuel pratique » : Landing
Le contenu complet de cet article est réservé aux abonnés. Vous pouvez également acheter hors-séries n°19 au format digital. Vous le retrouverez immédiatement dans votre bibliothèque numérique KiosqueMag.
Voir plus