Gaspard Jusper se considérait comme un jeune homme heureux. Tout dans la vie ne lui souriait-il pas depuis sa naissance, vingt ans plus tôt ? Quand il lui arrivait de rencontrer sur son chemin une petite embûche, son caractère léger et insouciant reprenait vite le dessus, il retrouvait son sourire éclatant, où brillait encore parfois l'innocence de l'enfance. Il faisait fi des ennuis ; il supporta même vaillamment une maladie qui faillit l'emporter à quinze ans. Ses moindres désirs n'étaient-ils pas toujours satisfaits ? Depuis qu'il était petit, il lui suffisait de demander. Il avait toujours eu les plus beaux jouets, les plus élégants vêtements. Quand il se promenait avec sa nourrice, les habitants de la petite ville du nord de l'Allemagne qu'il habitait s'extasiaient sur cet enfant si bien élevé. Adolescent, il lui suffisait d'entrer dans le bureau paternel et de réclamer quelque argent à dépenser avec ses amis dans les brasseries ou théâtres des environs pour que Rudolf Jusper lui tende aussitôt avec bonhomie des billets de banque. Il fallait bien profiter de sa jeunesse, ajoutait immanquablement son père avec un rire sonore, ignorant le coup d'œil sévère que lui lançait parfois son comptable lorsqu'il se trouvait là. Bref, en voilà un qui avait bien de la chance, disait-on de Gaspard. Les jeunes filles à marier et leurs pères commençaient d'ailleurs à lorgner sur celui qui, en plus de son physique avantageux, se présentait comme un des meilleurs partis de la ville. En effet, Rudolf Jusper était un des hommes les plus fortunés de la région. Il avait fait un mariage d'amour avec une jeune fille qui possédait un obscur titre de noblesse. Lui-même était issu d'une famille de la petite bourgeoisie locale. Mais la conjoncture économique l'avait toujours servi, les bonnes personnes s'étaient opportunément présentées à lui et la dot de son épouse avait servi de mise de départ. À trente ans, il était déjà à la tête d'une prospère firme d'importation de grains. Il s'étonnait lui-même de la rapidité de sa réussite et, quinze ans plus tard, considérait
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