Jeanine jeta un coup d'œil à l'antique coucou suisse qui ornait un des murs de la pièce. Mince ! Bientôt 15 heures, son premier client allait arriver. Elle se hâta de sortir tout le décorum nécessaire à sa profession : épais tapis de velours violet, bougies colorées, bâtons d'encens, statuettes asiatiques dorées. Elle ferma les rideaux, s'assit dans son fauteuil, prit une grande inspiration, mit sa tête dans ses mains et se mit dans la peau de Madame Olga. Le dernier client parti, tout l'attirail serait rangé en bas du buffet et la pièce reprendrait son apparence de banale salle à manger où elle s'installerait tranquillement devant sa télévision. Voyante depuis plus de cinquante ans, il fallait croire que ses prédictions étaient satisfaisantes puisque « son cabinet », comme elle disait, ne désemplissait pas. Le bouche-à-oreille fonctionnait à merveille et, outre les habitués, elle voyait constamment de nouvelles personnes s'installer, un peu tendues, en face d'elle. D'autant plus qu'elle n'hésitait pas, en cas de besoin, à prolonger la demi-heure habituelle des séances, en recouvrant certaines cartes problématiques pour avoir des messages supplémentaires, afin de ne pas laisser ses clients sur leur faim. Ce jour-là, elle soupira en sortant ses tarots divinatoires du tiroir. Ses fidèles outils de travail - dont les cartes - étaient usés jusqu'à la trame. On distinguait à peine à présent les figures de la majestueuse Impératrice, de l'inquiétante Maison-Dieu ou du réjouissant Soleil. - Comment arrivez-vous à voir de quelle carte il s'agit ? avait un jour demandé une cliente suspicieuse. Elle avait eu un sourire entendu. Peu importait en fait, c'étaient « ses guides », sortes de voix intérieure, qui lui dictaient ses propos, le tarot de Marseille n'était qu'un support. Quelles plaintes allait-elle recueillir aujourd'hui ? Quels espoirs allait-elle alimenter ou décevoir ? Le client allait-il sortir de chez elle avec un grand sourire ou un mouchoir à la main ? Car bien sûr, c'était comme chez le médecin, on ne venait la voir que lorsqu'on avait
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