Le stéréotype le plus communément admis est que le chef d'orchestre est une invention récente, datant du XIXe siècle tardif. Comme tout cliché, celui-ci a sa part de vérité. Pourtant, il existait bel et bien des formes de direction musicale dès les et XVIIIe siècles. Des formes diverses, qui coexistaient, comme l'a montré le musicologue Christoph Riedo. Pour la musique d'église, par exemple, les gravures d'époque montrent certains mécanismes communs. Sur la couverture du Syntagma musicum de Michael Praetorius, en 1620, on voit deux groupes interprétant une musique polychorale sur deux balustrades où l'on distingue une personne qui ne joue pas mais brandit un cahier : c'est le batteur de mesure. En bas, un troisième groupe comprend aussi un homme qui lève les mains en tenant une liasse de papier. Les musiciens pouvaient ainsi se reposer sur la battue pour être coordonnés. En 1639, à Rome, le gambiste André Maugars nous en dit plus : « le maître compositeur battait la principale mesure dans le premier chœur, accompagné des plus belles voix. A chacun des autres il y avait un homme qui ne faisait autre chose que jeter les yeux sur cette mesure primitive afin d'y conformer la sienne. » Voilà qui remet en cause l'idée reçue selon laquelle la présence d'un coordinateur qui ne serait pas lui-même un exécutant, serait une invention tardive ! Il existe bien d'autres documents montrant la permanence du batteur de mesure, y compris au XVIIIe siècle. La plupart du temps, l'accessoire qui permet de donner la pulsation est un rouleau de papier, mais ce peut être aussi un mouchoir ou un archet. Le plus connu est le bâton, rendu célèbre par l'anecdote de la mort de Lully, atteint par la gangrène après s'en être donné un coup sur le pied, sans que les circonstances aient jamais été tout à fait clarifiées. Préhistoire Dans cette préhistoire de la direction, la configuration diffère selon la taille de l'effectif. Un compte rendu de Johann Matthias Gesner, recteur de l'église Saint-Thomas de Leipzig, suggère que Bach dirigeait comme instrumentiste actif et non batteur de mesure, donnant les entrées d'un signe de l'œil, et le tempo en tapant du pied. En revanche, une gravure de Cristoforo Schor datée 1687 montre un grand effectif jouant un concerto grosso de Corelli, ce dernier positionné bien en vue à l'extrême gauche sur une caisse en bois avec son violon, maintenant un contact visuel permanent avec deux clavecinistes placés devant. Il est alors courant d'avoir un chef principal et des relais qui se calent sur sa battue et la transmettent aux instrumentistes les plus éloignés. A l'opéra, l'époque baroque présente des pratiques différentes d'un pays à l'autre. En France, le batteur de mesure est bien là, pour le plus grand désespoir de Jean-Jacques Rousseau, qui lui règle son compte avec une ironie cinglante dans son Dictionnaire de musique : « Combien les oreilles ne sont-elles pas choquées à l'Opéra de Paris du bruit désagréable et continuel que fait, avec son bâton, celui qui bat la mesure, et que le petit prophète compare plaisamment à un bûcheron qui
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